Passé et présent

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Les fêtes du feu ont évolué. Leurs origines sont incertaines mais probablement très anciennes. En tout cas, l’intérêt pour ces fêtes a augmenté grâce aux folkloristes et aux spécialistes des Pyrénées au cours de la première moitié du XXe siècle. Avec le dépeuplement des Pyrénées, elles ont subi une certaine décadence et beaucoup de villages ont arrêté de les célébrer, ou bien elles sont restées comme une pratique réservée aux enfants. Dans les années 1980, ces fêtes ont commencé à se relancer et à avoir une plus grande importance comme symbole d’identité locale et pyrénéenne.

Dans les années 1990 et au début des années 2000, de nombreuses fêtes ont été redéfinies et réinventées dans les formats actuels, connaissant leur grand apogée et leur nouvelle expansion dans de nouveaux villages. La redéfinition de la fête entraîne aussi le besoin de l’adapter aux temps actuels avec de nouvelles pratiques en relation avec le développement durable, la cohabitation avec le tourisme ou l’égalité homme-femme. La fête regarde toujours vers le futur.

Peu de références documentaires sur son origine

Il est impossible de définir avec précision l’origine de ces fêtes. Les références les plus anciennes à ce sujet datent du 5 février 1543, selon un document découvert récemment aux Archives Comarcals de l’Alt Urgell par Carles Gascón. Il fait référence à une sentence arbitrale établie entre le chapitre d’Urgell, l’évêque et la Cité d’Urgell. Il y est signalé des conflits entre deux communes, celle de Torres et celle d’Alàs, qui « avaient provoqué morts et blessés » d’après la citation textuelle. Le conflit avait un lien avec la célébration des fars et falles. Il semble qu’il ait été provoqué par la juridiction compétente dont dépend l’endroit où les uns et les autres voulaient les célébrer. Entre autres conclusions, la sentence arbitrale indique qu’à partir de ce moment-là, les habitants de Torres ne pourraient plus faire de fars ni falles (flambeaux) sur la commune d’Alàs, et ceux d’Alàs ne pourraient pas les faire sur la commune de Torres. Cette référence recule de deux siècles la célébration des falles dans les Pyrénées, puisque la preuve la plus ancienne connue jusqu’alors datait de 1763 dans un document de Vilaller.

Du côté français des Pyrénées, selon l’historien Serge Brunet, les archives rendent compte d’une dispute pour la Saint-Jean entre Saint-Bertrand-de-Comminges et Valcabrère (Haute-Garonne) en 1344 : une archive judiciaire de la cour du sénéchal de Toulouse traite d’un conflit entre les habitants de ces deux villages au cours de la célébration des fêtes de la Saint-Jean. Même si certaines sources mentionnent la présence de brandons à l’Époque Moderne, les descriptions les plus précises sur leur célébration ne se trouvent pas avant le milieu du XIXe siècle et le début du XXe siècle.

En tout cas, comme le signalent Riart et Jordà, il est paradoxal qu’il n’y ait qu’une très rare présence documentaire jusqu’au XXe siècle.

Document amb referència a les falles. Alàs, 1543, (Arxiu Comarcal de l’Alt Urgell)

Document qui fait référence aux falles. Alàs, 1543, (Arxiu Comarcal de l’Alt Urgell).

L’intérêt pour les fêtes des folkloristes en Catalogne, en Andorre et en Aragon

En Catalogne, en Andorre et en Aragon les études sur le folklore ont été publiées par des auteurs comme Jusèp Condó, Juli Soler, Joaquim Morelló, Joan Amades et Violant i Simorra. Ce sont eux les premiers qui décrivirent de façon soignée les fêtes du feu.

En 1896, l’écrivain aranais Jusèp Condò Sambeat publie un article au Centre Excursionniste de Catalogne dans lequel il décrit la fête des halhes sans décrire un lieu concret. Condò explique : « Pour qui ne l’a jamais vu, il lui semblerait que ce sont des démons échappés de l’Enfer, surtout s’il se trouve à un endroit d’où l’on voit sept ou huit villages. Une fois la fête finie, ils emmènent tous un morceau de la falla dans leurs jardins, pour que, comme une bénédiction, ils aient une meilleure récolte ».

Parmi les plus anciennes descriptions, nous trouvons celle de Joaquim Morelló (1904 : 169) sur Isil : « Parmi les coutumes typiques du pays on peut citer celle des fallaires [porteurs de flambeaux], qui est conservée dans la plus pure tradition dans le village de Gil. Elle consiste à courir, la nuit de la Saint-Jean, avec les falles allumées depuis un point déterminé de la montagne jusqu’au village. La falla est un jeune tronc de pin fendu à une extrémité et garni de brindilles. À l’entrée du village, ils sont attendus par les jeunes filles qui, au fur et à mesure qu’ils arrivent, leur offrent un bouquet et un verre de vin. Quand ils sont tous arrivés sur la place, ils déposent les falles les unes sur les autres. Le feu de la Saint-Jean est ainsi fait. Les jeunes filles commencent à danser une sorte de sardane autour du feu et, grâce à leurs chants, indiquent aux fallaires à quel moment ils peuvent entrer dans la danse ».

Entre les années 1941 et 1948, le folkloriste Joan Amades décrit les fêtes de différents villages pyrénéens, en particulier celles d’Isil, d’Esterri d’Àneu et de Vilaller. Il dit : « Cette coutume, surtout à Isil, est encore bien vivante, et en 1949 il y avait 53 fallaires » (1953, vol. IV : 51), bien qu’il les présente surtout comme une fête de « célibataires ». Il décrit aussi les rondes de feu en Andorre et dans le Val d’Aran. En 1958, ce même Joan Amades l’explique en faisant référence aux falles (flambeaux) au moment de raconter les traditions du 23 juin. Il décrivait ainsi les falles andorranes : « Les enfants fabriquent des falles avec de l’écorce de peuplier blanc et avec la première peau de bouleau. Ils les font tournoyer en l’air, alors qu’elles sont allumées, à une vitesse vertigineuse, et produisent l’effet d’une roue scintillante, qui répand de la clarté et du feu dans l’infini. Ces falles, enflammées au milieu de la profonde obscurité des bois, contrastent fantastiquement et produisent un effet absolument dantesque. »

Les premières descriptions des fêtes en Occitanie

En Occitanie, certains folkloristes et érudits locaux se sont également intéressés à ces coutumes avec une vision quelquefois romantique, parfois symboliste et les mettant en relation avec des traditions « primitives », comme Édouard Piette ou Julien Sacaze (1877), fondateur de la Société des Études du Comminges. Dans La montagne d’Espiaup (1877 : 249-250), ils disent que « le culte du feu a laissé de nombreuses traces dans la vallée du Larboust. Le christianisme s’en est approprié certaines pratiques en les épurant ; mais dans différentes localités, le culte primitif subsiste encore et les habitants le pratiquent inconsciemment. De nos jours, dans la commune de Cazaux-Larboust, dès le 20 ou le 21 juin, et pendant quatre ou cinq nuits successives, les pâtres se réunissent sur les crêtes de la montagne ďhaout-Arrouy […]. Portant chacun un brandon de sapin (hailla d’ahouét), ils l’agitent au-dessus de leur tête en décrivant des cercles lumineux et descendent rapidement ensemble depuis la Bach de Cadaou jusqu’au village […].

Naguère encore, à Castillon, la veille de la Saint-Jean, au moment où le prêtre mettait, près du village, le feu au brandon bénit, un brandon rival était enflammé sur la montagne, au sommet des Artigous. [La cérémonie païenne] se fait encore à Luchon […] mais il n’y a plus que les jeunes gens et les enfants qui prennent part à cette fête accompagnée de danses et de cris sauvages. Dans toutes les communes du Larboust, l’arbre de la Saint-Jean est dressé un an à l’avance et fourni, dit-on, par le couple le plus récemment marié. À Luchon, on a la singulière habitude d’y enfermer des serpents qui s’échappent en sifflant, quand ils sentent la flamme monter jusqu’à eux. Une croyance très répandue dans le Larboust est qu’un petit morceau de bois carbonisé, provenant du brandon, détourne de la maison, où il est pieusement conservé, la foudre et les mauvais esprits ».

Les fêtes en crise

Malgré l’ancienneté de la fête, une forme de crise se produit dès la fin du XIXe siècle. Le pharmacien de Graus, Vicente Castán, y fait référence à l’occasion d’une visite qu’il fit au Pont de Suert à la fin du XIXe siècle : « Tout tombe en désuétude, et les fallas d’origine traditionnelle perdent en nombre et en importance au cours du temps ; le souvenir de ce qu’elles furent ne se conserve que dans l’esprit de quelques-uns ». Cependant, la fête entre en pleine décadence dans les années d’après-guerre, d’un côté et de l’autre de la frontière. De nombreuses fêtes cessent d’être célébrées dans les années 1950-1960, ce qui correspond aussi au dépeuplement et à la crise de la société pyrénéenne.

Les falles (flambeaux) pourraient s’être maintenues dans les villages dans lesquels elles faisaient partie de la fête patronale. Dans d’autres cas comme à Isil, les travaux des folkloristes, en particulier Violant i Simorra, ont contribué à sa popularisation. Bien que la fête se soit toujours maintenue à Isil, le village a aussi dû faire face à des années compliquées au cours desquelles très peu de personnes dans le village allaient fabriquer les falles et les descendre.

Du côté français, cette sensation de rupture n’est pas aussi significative. Les responsables des fêtes parlent d’une continuité historique sans interruption, à l’exception de quelques années en particulier (2013 à cause des inondations et 2020-2021 avec le contexte de la COVID-19). Toutefois, le territoire des brandons s’étendait au-delà de la Barousse et du Comminges, au sud d’une ligne qui reliait approximativement Lannemezan à Salies-du-Salat. Mais cette pratique a diminué au cours du XXe siècle et le territoire des brandons s’est réduit.

Falles d’Isil, Pallars Sobirà. Fotografia: Català-Roca, 1957
Falles d’Isil, Pallars Sobirà. Fotografia: Català-Roca, 1957

La récupération et la réinvention des fêtes

Dès les années 1990, et dans certains cas au XXIe siècle, les fêtes ont été récupérées dans de nombreux villages. Elles ont été actualisées et de nombreuses pratiques ont même été réinventées, leur donnant leur format actuel. Cette redécouverte a été impulsée par différents facteurs : la revendication d’identités locales et régionales en Catalogne ou en Andorre, l’expansion économique des villages pyrénéens grâce au tourisme et une prise de conscience autour du PCI pour forger la construction d’une identité pyrénéenne transfrontalière. Depuis, des actions de promotion des fêtes ont été réalisées, ce qui a amené à encourager leur récupération dans d’autres communes. Les processus n’ont pas été les mêmes dans tous les villages : dans certains cas, elles continuent d’être des célébrations intimistes circonscrites à la communauté locale, tandis que dans d’autres cas, elles ont évolué vers des célébrations très massives avec une importante présence de touristes.

Dans toutes ces récupérations se retrouvent trois dénominateurs communs : la volonté de fournir de nouveaux éléments d’identité locale face à une société globalisée, la présence de groupes des nouvelles générations qui ont impulsé des actions pour célébrer, à nouveau, des fêtes tombées en désuétude, et le prestige social qu’ont eu les fêtes du feu dans les Pyrénées. D’une façon générale, les fêtes ont été réactualisées, revalorisant les éléments communs des falles (flambeaux) comme les descentes des falles ou les brandons/eths halhars.

Falles Isil, 1986. TVE Comarques

Falles Isil, 1986. TVE Comarques

La patrimonialisation des fêtes et l’inscription à l’UNESCO

Ce processus de récupération des fêtes a permis de les revaloriser en tant qu’élément patrimonial. En Catalogne, Andorre, Aragon et France, les différents gouvernements les ont progressivement déclarées comme des éléments patrimoniaux, ce qui a contribué à leur diffusion et à leur prestige. Néanmoins, les fêtes restaient des éléments surtout locaux. C’est le processus de la candidature à l’UNESCO qui a contribué à leur diffusion. Les fêtes, qui n’avaient qu’un caractère local à l’origine, se sont articulées comme un élément distinctif de l’identité pyrénéenne en revendiquant son caractère transfrontalier comme un patrimoine commun. Dans cette procédure, le moment le plus important fut la préparation de la candidature.

Présentée par le Gouvernement d’Andorre, elle réunit 63 communes d’Andorre, de Catalogne, d’Aragon et d’Occitanie qui célèbrent ces fêtes. La préparation de la candidature a entraîné un effort de collaboration entre les communautés de fallaires (les porteurs des flambeaux) et les gouvernements. Sa présentation a impliqué tout un exercice de géopolitique mais aussi d’articulation d’un discours commun pour des fêtes qui présentent des éléments similaires mais sont, en même temps, différentes. Trouver un nom en commun (finalement « Fêtes du feu du solstice d’Été dans les Pyrénées ») s’est aussi avéré être un défi.

La fête après l’UNESCO

Après l’inscription par l’UNESCO, divers faits ont marqué l’évolution de la fête. Les rencontres entre différents villages se sont multipliées, notamment grâce à l’Association Culturelle des Communes Fallaires des Pyrénées – Associació Cultural de Municipis Fallaires dels Pirineus (qui inclut la Catalogne et l’Aragon), et le processus de création d’une Coordination de fallaires qui a la volonté d’être transfrontalière. En Andorre, les collectifs fallaires ont créé en 2017 la Table nationale des falles des Vallées d’Andorre – Taula nacional de falles de les Valls d’Andorra – dans le but de la convertir en un outil de sauvegarde et de divulgation de la fête des falles (flambeaux).

La Table établit des stratégies de travail conjointes avec le Département du Patrimoine Culturel d’Andorre pour mener à bien des projets de transmission et garantir leur continuité. De cette manière, l’Andorre veille à atteindre la participation directe et la plus large possible des associations, des groupes et des personnes qui créent, maintiennent et transmettent l’élément festif, tout en les associant activement à sa gestion.

Études récentes sur les fêtes du feu

De nombreuses études et publications sur les fêtes sont parues récemment. Elles ont été écrites par des auteurs comme Serge Brunet (2010), Sergi Ricart et Xavier Farré (2012 et 2016), Oriol Riart et Sebastià Jordà (2015), Albert Roig (2017), Xavier Pedrals (2017), Patricia Heiniger-Castéret (2017), Roberto Serrano et Xavier Farré (2017), Bernat Ménétrier (2018), Jordi Alsina et Lluís Ràfols (2019), Mireia Guil (2021), entre autres. Vous pouvez consulter la page « Bibliographie » de ce musée virtuel.

Un grand nombre de vidéos, de reportages et de couvertures informatives ont également été réalisés.

Fia faia. Bagà, 2021. Fotografia: Xavier Roigé

Fia faia. Bagà, 2021. Fotografia: Xavier Roigé

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